Visé, histoire du centre historique (partie 1)

Le centre historique de Visé se situe sur une terrasse de Meuse inclinée est-ouest, coincée au nord par une vallée alluviale plus large (l’ancienne rive de Meuse était le côté ouest de l’île Quaden, et des prairies humides – la « Brousse » ou Brouha) et au sud par les rochers en calcaire viséen de Souvré, limités vers la ville par le ruisseau du Roua. Un espace de 2 km est donc plus viable et deux points plus élevés se distinguent : le « Mons » à l’emplacement de l’ancienne collégiale avec à ses pieds le quartier de Souvré, souvent inondé et notre site au nord. Une légère dépression entre les deux points hauts fut creusée par les sources descendant du Hennen et du sommet de la rue de la Fontaine. Elle fut peu à peu comblée par l’homme.

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L’époque préhistorique 

par Jean-Pierre Lensen

La préhistoire visétoise est malheureusement pauvre en documents archéologiques.
On connait le biface de Visé (Paléolithique moyen – 100.000 ans), trouvé rue de Sluse.
Quelques documents du néolithique moyen (vers – 3000 avant notre ère) furent trouvés sur le plateau de Lorette (silex et hache polie). Les quelques rares découvertes faites au centre de Visé mentionnent cependant en 1960 un élément en phtanite (partie d’herminette rubanée) et plus récemment, lors des fouilles de la zone du commissariat, des lames en silex portant les caractères du néolithique ancien (vers – 5000-5500).
Cependant ces traces de passage d’agriculteurs danubiens sont plus éten­dues. Avec la question du passage le plus méridional de ces fermiers danubiens de la rive droite à la rive gauche de la Meuse, à situer au sud de Maestricht, dans la région d’Eijsden et de Visé.  Un village néoli­thique aurait-il été implanté à quelques dizaines de mètres du fleuve, en rive droite ? En face, tant à Lixhe-Lanaye que sur le site de Hermalle Trilogiport, des documents de cette première phase du néolithique furent trouvés.
Pour les âges des métaux (2e et 1e millénaire), on n’a retrouvé qu’un bracelet en bronze, découvert dans la Meuse, trace de la traversée à gué de la Meuse. Sans oublier, de nouveau en face, en rive gauche de la Meuse, ces cimetières de la fin de l’âge du Bronze, les champs d’urnes de Herstal « Pré Wigy » et de « Hermalle Trilogiport ».

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L’époque gallo-romaine (- 54 ACN à la fin du Ve s.)

par Jean-Pierre Lensen

C’est à l’occasion des travaux d’agrandissement du gymnase de l’Athénée et de la pose d’un dallage dans la cour des externes, en avril 1960, que furent mis au jour d’importants vestiges d’époque romaine. Ce n’était point étonnant car en 1908, dans la cour de l’école et en 1925, sous la chapelle des Sépulcrines, des tessons de poterie d’époque romaine, avaient été découverts, sans parler d’autres découvertes faites dans le cadre de la reconstruction de la ville de Visé dans les années 1920. La carte actuelle de répartition de ces vestiges d’habitat présente la limite nord au début de la rue Saint-Hadelin, la limite sud rue Raskinroy, la limite ouest à la Meuse et la limite est  à mi-pente de la rue de la Trairie. Cette répartition des vestiges nous fait plus penser à un petit hameau au passage de la Meuse qu’à une grande exploitation agricole (« villa »). Ce vicus « Viosatium » qui d’après la toponymie aurait pu signifier, selon la démonstration de John Knaepen, « habitation ou relais sur la voie » fut traversé par la chaussée venant d’Aix-la-Chapelle et Berneau et se dirigeant vers notre capitale d’alors, Tongres. Le passage de la Meuse se faisait à gué en période d’étiage, en barque en période de crue puis au plus tard au 5e s., sur un pont dont les vestiges plus méridionaux furent découverts lors des travaux de l’autoroute. Ils se trouvaient au pied du « Mons », qui deviendra plus tard (à l’époque mérovingienne ?) l’emplacement de la première église chrétienne. L’historien de Visé soupçonnait la présence sur ce point haut d’un temple gallo-romain, dédié à Mars !

Il faut aussi mentionner les deux cimetières gallo-romains connus par des fouilles anciennes : celui de la rue de Sluse, au nord (la plupart des documents découverts à la fin du 19e s. furent déposés par le Musée Curtius en notre musée, sauf la fiole d’Evhodia conservée précieusement au Grand Curtius) et celui de Lorette au sud (les découvertes de M. Rouma† de Vivegnis).
Parmi les vestiges architecturaux trouvés sur le site de l’Ancien Athénée Royal (VAR), la structure la plus importante est une cave (cave 1) qui, d’après la stratigraphie et les objets y découverts, révèle une occupation allant de l’an 50 après J.-C. à ± l’an 170. Le niveau supérieur est un niveau de comblement car la cave surmontée probablement d’un bâtiment en bois et en torchis, servit après l’an 170 jusqu’aux années 250 au moins de vide-ordures. Une seconde cave (cave II) ne fut fouillée que partiellement au Nord-Est de la première et son déblai assez abondant fut récolté dans la tranchée X.
Quelques traces de fondations furent aussi découvertes (dans la tranchée V). De plus, un empierrement révéla la présence d’une chaussée romaine (voir la stratigraphie illustrée), à quelques mètres du soupirail de la cave et donc à proximité de la façade de cette bâtisse.
On conserve, bien entendu, des matériaux de construction. Les carrières de calcaire viséen de Souvré ont fourni de bonnes et solides pierres calcaires. Le sous-sol visétois livra aussi du schiste houiller. Quant aux tuiles en terre cuite, elles furent sûrement fabriquées dans la région de Heerlen et sont de deux types : les tuiles plates à rebords (tegulae) et les tuiles arrondies destinées à couvrir deux tegulae jointives (imbrices). Des marques de fabriques de tuiliers ont été conservées : ainsi MHF, CTEC, CC, ML, V, O, VI, …
Les découvertes faites en 1960 par notre infatigable conservateur, Jean Massin† et le professeur d’histoire de l’Athénée, John Knaepen† mirent au jour des éléments architectoniques attestant la présence d’un chauffage par hypocauste (rondelles et tubulures). Est-ce pour des bains ou pour l’habitation ?
Comme signalé ci-dessus, le site aurait été abandonné, comme en beaucoup de lieux proches au troisième tiers du 3e s. (la grande villa de Haccourt e.a.).
Les documents donnent un aperçu de la vie quotidienne des premiers siècles. La vaisselle de luxe  par excellence, la sigillée ou terra sigillata, de couleur rouge, est façonnée selon une technique inspirée en droite ligne des potiers grecs. Les officines gauloises de l’Est de la Gaule exportèrent nombre de leurs produits dans nos régions. Utile pour la datation, cette céramique situe l’habitat de Visé du milieu du premier siècle jusqu’à la fin du troisième siècle. Une autre vaisselle assez abondante est la céramique vernissée qui est surtout représentée par les vases à boire (gobelets). La pâte et l’enduit sont de diverses couleurs : gris, orange, bleus. La céramique commune permet à l’archéologue d’encore mieux comprendre la fabrication de la céramique, son évolution, les modes culinaires et aussi le niveau social ou économique du propriétaire. Les amphores à fond pointu pour les liquides (huiles, vins), les dolia à fond plat pour les aliments solides (céréales, fruits, grains, …) sont bien à l’abri dans les caves, garde-manger de nos ancêtres gallo-romains. Pièce rare est ce bouchon en terre cuite qui fermait l’ouverture d’une cruche amphore. Des cruches à une ou deux anses servaient à transvaser les boissons dans les coupes, des bols ou des gobelets. Pour les repas, des assiettes, des plats, tandis que pour la préparation de certains mets, on se servait de mortiers ou tèles. La présence de fragments d’un vase rituel appelé aussi communément « vase planétaire », pourrait faire penser à la présence d’une zone funéraire dans le voisinage.
Côté parure, les Romain(e)s ne furent pas les derniers à attacher grand prix à la beauté corporelle : des fibules – une très belle en forme d’umbo – , des épingles en os font partie des découvertes. Le mobilier était aussi intéressant : des coffres dont on a gardé les poignées en bronze.
Le site de Visé a, de plus, livré nombre d’objets métalliques dont le plus impressionnant est la grille de soupirail de la cave n° I (qui fut restaurée par le laboratoire de la Fédération des Archéologues de Wallonie).

(Extrait de notre livre « 400 ans de Savoir »)